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Stratégie navale vietnamienne

STRATEGIE ET SCIENCE DU COMBAT SUR L'EAU AU VIETNAM AVANT L'ARRIVEE DES FRANCAIS

 

LE Dinh Thong

 

La Nation n'existe que si elle est défendue. Pays de terre(s) et d'eau(x), le Vietnam n'échappe pas à cette règle. Dès sa constitution en 939, ses gouvernements ont dû réfléchir au(x) mode(s) de sa conservation. Du point de vue polémologique, son histoire, dès le début, est une histoire guerrière. Le temps de paix est minime, même inexistant, et on peut le considérer comme potentiel de guerre. La plupart des guerres sont celles de libération, mais aussi guerre de conquête (contre la Chine sous les Song, contre le Champa, le Cambodge et le Laos), sans compter les guerres civiles et d'autres révoltes innombrables. On en est très vite arrivé à parler stratégie et tactique au Vietnam. A souligner tout de suite, en raison même des menaces pesant sur ce pays (à la fois terrestres et maritimes), le Vietnam a toujours eu une stratégie globale face à ses envahisseurs. On peut remarquer que les périodes de perte d'indépendance (occupation chinoise, arrivée des Occidentaux) ont assez bien coïncidé avec la "négligence" des dirigeants pour l'une (terrestre) ou l'autre (maritime) composante de son Armée.

 

Dans la conduite de la guerre, les stratèges vietnamiens accordent de l'importance aux combats sur l'eau, ainsi appelés parce qu'ils prennent le plus souvent place dans les eaux intérieures (nôi thuy) et dans les eaux territoriales (hai phân Viet Nam). Ceux-ci décident souvent de la victoire. C'est le cas des batailles de Nhu Nguyêt (1077), de Bach Dang (1288), de Rach Gam-Xoài Mut contre le Siam (1785), etc.

 

Les Vietnamiens profitent stratégiquement des avantages de leur réseau fluvial, ainsi que leurs côtes en forme de poitrine gonflée d'un dragon. Les Chinois eux-mêmes ont reconnu la supériorité des Vietnamiens sur l'eau. Bao Chi, un haut mandarin chinois, dans un rapport confidentiel soumis à l'empereur Song, écrit :

 

"Si les Vietnamiens fuient vers la mer, comment les soldats des Song peuvent-ils les combattre car ces derniers ont peur du vent et de la vague ? En outre, les Vietnamiens sont des races bien douées pour le combat sur l'eau"

 

Grâce à sa marine, le Viet Nam possède un contrepoids à la disproportion géopolitique entre les deux pays. L'identité de la conception et de l'acte (tri hành hop nhât) explique les huit victoires du Viet Nam sur les Chinois dans les dix grandes guerres de défense et de libération avant 1858. Si les idées mènent le monde, l'indépendance du Viet Nam est le fruit de ses stratèges. Ceux-ci sont en même temps hommes d'Etat et généraux, stratèges et tacticiens sur le terrain et sur l'eau. La présentation des grands stratèges navals qui suit n'aborde donc qu'un aspect de leur pensée et de leur oeuvre.

Ly Thuong Kiet (1019-1105)

 

Né en 1019 à Thang Long (l'actuelle Hanoi), Ly Thuong Kiêt est auteur d'un poème célèbre considéré comme la première Déclaration de l'Indépendance du Viet Nam. L'esprit de son époque est lié au goût des armes. L'empereur ou les princes conduisent eux-mêmes leurs troupes à la bataille. Son père, général lui-même, meurt quand Ly Thuong Kiêt a 13 ans. Il suit la carrière militaire comme son père. Pendant la journée, il fait des exercices de tir à l'arc, d'équitation, de construction de casernes (lâp doanh) et de disposer les troupes autour d'une place imaginaire de guerre (bày binh bô trân = constitution de plan de bataille avec manoeuvre de troupes). Il approfondit les stratégies et les tactiques sino-vietnamiennes présentées dans les traités de l'art militaire. En outre, il lit les ouvrages confucéens (sach Nho).

 

A l'âge de 21 ans, Ly Thuong Kiêt est aspirant-officier de chevalier (ky ma hiêu uy). En 1041, il devient officier d'ordonnance (thi vê), puis officier de la Garde impériale (hoàng môn chi hâu). A 26 ans, il devientBông hành quân hiêu uy, un grade d'officier général. A ce titre, il conseille l'empereur. Lors de la conquête du royaume du Champa, le chef de l'Etat Ly Thanh Tông l'a nommé nguyên soai (généralissime) de l'expédition vietnamienne dont l'effectif est de 50 000 soldats. Une flotte de 200 navires assure le déplacement de tout le corps expéditionnaire mis sous le commandement suprême de l'empereur. La bataille finale survient dans la capitale Vijaya (VN = Chà Bàn ) au nord de l'actuelle province de Binh Dinh après l'occupation des départements de Phan Rang et de Phan Thiêt. Les troupes vietnamiennes capturent le roi Rudravarman III et le conduisent à Thang Long, capitale du Viêt Nam.

 

Après la victoire sur le Champa, l'empereur Ly Thanh Tông nomme Ly Thuong Kiet thai uy, n° 2 de la cour impériale chargé des affaires militaires après le thai su (premier ministre) Ly Dao Thanh. En 1072, il succède à Ly Dao Thành aux fonctions de premier ministre. Il devient lieutenant du nouvel empereur Ly Càn Duc. En 1075, Ly Thuong Kiêt reçoit le commandement de l'expédition en Chine. Ayant réussi à prendre les deux ports Khâm et Liêm, les troupes de Ly Thuong Kiêt s'avancent à l'intérieur des terres sous prétexte de punir des sujets rebelles vietnamiens réfugiés en Chine et de libérer le peuple chinois des politiques impopulaires du premier ministre Vuong An Thach. L'armée vietnamienne assiège la ville de Ung Châu pendant plus d'un mois. Après avoir appliqué la tactique hoa công (attaque par fusées) et thô công(superposition des sacs de terre) en vue de monter dans la fortification haute, les attaquants vietnamiens prennent enfin cette ville chinoise. Quelques instants avant, après avoir tué 36 membres de sa famille, le maire Tô Giam de la ville de Ung châu s'est immolé par le feu. Après Ung Châu, la ville de Tân Châu tombe à son tour aux mains des Vietnamiens. Après avoir rasé les bases de ravitaillement et de lancement d'une attaque potentielle des Chinois contre le Vietnam, les troupes vietnamiennes se retirent chez elles pour se prémunir d'une vengeance chinoise.

 

En 1077, la guerre sino-vietnamienne se déclenche. Quach Quy est nommé commandant en chef de l'expédition chinoise. A la bataille de Nhu Nguyêt, pour encourager la contre-attaque, le général Ly Thuong Kiêt ordonne à l'un de ses officiers de se cacher dans le temple du génie du fleuve, Truong Hat, et de scander la fière strophe suivante :

 

"Sur les monts et les eaux du Sud règne l'empereur du Sud

Tel est le destin fixé à jamais dans le livre céleste

Comment les barbares osent-ils envahir notre sol ?

Leur audace insensée verra leur déroute sanglante !"

 

"Dans la nuit, à entendre ce chant mystérieux résonner dans le temple, l'enthousiasme électrisa nos troupes. Les Song effrayés se débandèrent avant même l'assaut."

 

Ensuite, Ly Thuong Kiêt ouvre des négociations par l'intermédiaire de son envoyé spécial Kiêu Van Ung avec le général Quach Quy en vue d'aboutir à la conclusion de la paix. Selon l'Histoire des Song, dans un rapport à l'empereur Song en date du 16 avril 1077, "le trésor avait touché 5 190 000 luong (onces) d'or". Unluong vaut 39,783 gr, donc la dépense des Song pour 8 mois de sa campagne au Viet Nam représente 196 093 kg d'or. Après la guerre, la Cour chinoise demande en vain l'extradition du général Ly Thuong Kiêt comme criminel de guerre. Pour éviter les complications diplomatiques entre deux pays, Ly Thuong Kiêt quitte ses fonctions de Premier ministre et se retira à Thanh Hoa pendant 19 ans (de 1082 à 1101). Mais la Cour impériale, et notamment son successeur Lê Van Thinh, premier docteur vietnamien, continuent à subir son influence dans la politique de l'expansion coloniale. En 1101, à la suite d'une réforme à la Cour, l'empereur le fait rentrer à la capitale pour reprendre ses fonctions de tê tuong (premier ministre) à l'âge de 83 ans. Il ordonne de réorganiser l'armée et l'administration des départements du Sud. En 1104, malgré son grand âge, en recevant à nouveau le commandement de l'armée, il bat les troupes rebelles de Ly Giac au Sud et les Cham. Un an après sa dernière conquête du Champa, il meurt dans la capitale Thang Long.

 

Ly Thuong Kiêt n'a laissé aucun traité sur l'art militaire. Mais les documents chinois et vietnamiens, notamment les stèles portant des inscriptions commémoratives dressées dans les pagodes et sur les tombes des généraux chinois, Quach Quy, Triêu Yêt et Yên Dat, l'ouvrage intitulé Tông Su (Histoire des Song) écrit sous la dynastie des Yuan,Viêt Su Luoc (Précis d'histoire du Viet Nam) rédigé sous les Trân, permettent de présenter quelques stratégies mises en oeuvre par Ly Thuong Kiêt.

 

Thanh da : Ly Thuong Kiêt est le promoteur de cette célèbre tactique. Etymologiquement, Thanh signifie rendre net, propre. (Ce mot se distingue avec le mot tao thanh, i.e. nettoyage d'une position), et Da signifie sauvage, désert. Thanh da a pour but de laisser des terres en friche. Thanh da est la technique-clé de la tactique du kich (guérilla). Grâce à Thanh da, le fort devient faible et le faible devient plus fort.

 

La plupart des guerres dans l'histoire du Viet Nam sont des guerres de libération. En général, l'armée d'occupation oblige les indigènes à lui fournir des vivres et à faire des corvées de ravitaillement quotidiennes.Thanh da tend à "couper l'herbe" sous les pieds des envahisseurs. Une telle situation affaiblira le fort et fortifiera le faible grâce à leur volonté nationale et leur degré d'union nationale, i.e. le consensus populaire.Thanh da n'est pas évidemment une coïncidence de l'histoire, mais issu d'"une philosophie qui tient toute connaissance" (H. Bergson). Au fond, Thanh da est la néantisation. Or, l'esprit du néant caractérise l'école bouddhique de Thiên dont l'influence dominante marque sur les pensées de l'époque de Ly.

 

Le Thanh da de Ly Thuong Kiêt sera repris par Vo Nguyên Giap dans la guerre d'Indochine sous le nouveau nom : tiêu thô khang chiên. Tiêu thô signifie détruire tous lieux et khang chiên = résistance. L'expression signifie donc détruire tous lieux de résistance.

 

Duong dông kich tây : Littéralement, cette expression signifie montrer la force à l'Est, lancer l'attaque à l'Ouest. Ly Thuong Kiêt applique efficacement la démonstration navale et terrestre en même temps pour intimider l'ennemi. Il emploie sa force de frappe, c'est à dire l'ensemble des moyens militaires, pour écraser rapidement les bases de ravitaillement chinoises puis se retirer immédiatement vers les bases de départ. Le théâtre d'opération extérieur que Ly Thuong Kiêt a établi en terre chinoise est un fait exceptionnel, jamais vu dans l'histoire du Viet Nam.

 

Pendant la campagne de Chine, la marine joue un rôle décisif par la rapidité et le secret du trajet. Le débarquement de l'infanterie de marine vietnamienne au port de Khâm Châu se déroule au moment où le préfet chinois Trân Vinh Thai prend son verre de Bach tuu (eau-de-vie chinoise). Dans son ordre du jour (nhât lênh), Ly Thuong Kiêt a dit :

"Il vaut mieux avancer les troupes pour écraser l'ennemi que ne rien faire pour attendre l'attaque."

 

Ly Thuong Kiêt donne ses instructions à ses soldats:

- Il faut exploiter la supériorité de notre marine.

- Il faut attaquer par surprise des objectifs négligeants.

 

Tri ki bach chiên bach thang : Les stratèges vietnamiens se guident sur ce vieil adage: Se connaître soi-même et connaître l'ennemi permet de gagner à 100% les batailles qu'on engage.

 

Ly Thuong Kiêt envoie des agents secrets travailler à bord des navires sur les voies reliant entre eux les ports de la Chine du Sud. Il a déterminé les attributions des agents secrets :

- Faire de l'espionnage (trinh sat).

- Faire du contre-espionnage (phan trinh sat), espionner des espions.

- Espionner les tactiques et les systèmes d'attaque (cong), d'offense (thu), d'avance (tiên), et de retraite(thoai) des ennemis.

 

Selon le plan de Ly Thuong Kiêt, après avoir fait prisonniers 200 bonzes chinois, 200 agents secrets vietnamiens utilisaient 200 tablettes de moines (the bài) confisquées pour pénétrer sur le sol ennemi par infiltration.

 

Deux siècles après cet épisode, Trân Quôc Tuân dans Binh Thu Yêu Luoc (Résumé de l'art militaire) développera la pensée de Ly Thuong Kiet sur l'utilisation des agents secrets dans le chapitre qui est intituléPrincipes pour utiliser les espions (Phép dung gian).

Tran Quoc Tuan (1226-1300)

 

Trân Quôc Tuân est resté dans l'iconographie nationale pour avoir vaincu les Chinois. Vainqueur de Chuong Duong (1285) et de Bach Dang (1288), il est le fils du prince Trân Liêu et neveu de l'empereur Trân Thai Tôn. Il est né entre 1226 et 1229 à Nam Dinh (Nord Vietnam). Partisan de la résistance à la première incursion mongole en 1285, il devient Quôc công tiêt chê (généralissime) pendant les deuxièmes et troisième incursions mongoles en 1285 et 1287. Ces campagnes de 1285 et de 1287 sont sans précédent. Jean Chesneaux a écrit :

 

"A la fin du XIIIe siècle, les rois de la dynastie Trân vont repousser de même à trois reprises de nouvelles attaques que lancent les Mongols, à ce moment maîtres de la Chine. Celle de 1284, conduite en personne par un petit-fils de Gengis-Khan, réunissait pourtant 500 000 soldats, venus par terre et par mer ; le chef vietnamien Trân Hung Dao, qui leur tient tête avec l'appui des paysans du delta, est resté une figure légendaire; il sera longtemps l'objet d'un culte dans les pagodes bouddhiques ".

 

Trân Quôc Tuân était partisan de la résistance à outrance.

L'historien Lê Thành Khôi cite :

"une proclamation du généralissime, affichée dans tous les villages, dans laquelle il ordonne à la population de lutter jusqu'à la mort contre l'envahisseur, ou si elle ne pouvait résister, de se réfugier dans les forêts et les montagnes, sans jamais se rendre ".

 

Lê Thành Khôi cite également une réplique historique de Trân Quôc Tuân à l'empereur Trân Nhân Tôn :

"Nhân Tôn, à bord d'un sampan léger, était descendu à Hai dông (Quang Yên). Il fit mander Hung Dao et l'interrogea, soucieux : "La puissance de l'ennemi semble telle qu'elle me fait craindre qu'une guerre prolongée n'entraîne pour le peuple d'immenses destructions. Ne vaut-il pas mieux nous rendre pour l'en sauver ?" - Le généralissime répondit : "Ces paroles manifestent les sentiments d'humanité de Votre Majesté, mais que deviendraient les Temples Dynastiques et les Dieux du Sol et de Moissons alors ? Si vous voulez vous rendre, faites d'abord trancher ma tête". Cette résolution inébranlable tranquillisa le souverain ."

 

Au 8e mois de Ky Hoi (1300), Trân Quôc Tuân était gravement malade.

 

"Pendant sa maladie, Anh Tông qui régnait depuis 1293 était venu le visiter. Il lui demanda : "Le Prince une fois disparu, que faire si le Nord tentait une nouvelle invasion ?". Hung Dao répondit : "L'ennemi en général se fie au nombre, et nous ne disposons que de faibles effectifs. Combattre le long avec le court, tel est l'art militaire. Quand l'ennemi avance à grand fracas comme le feu et le vent, il est facile de le dompter ! Mais s'il use de lenteur et de patience comme le ver à soie qui ronge la feuille de mûrier, s'il procède longuement et sans hâte, sans dépouiller la population, sans se soucier d'une victoire rapide, alors, il nous faut choisir de bons généraux et adapter la tactique à la conjoncture ainsi qu'au jeu d'échecs. Il importe que l'armée n'ait qu'une âme comme le père et le fils dans la famille. Il est essentiel enfin de traiter le peuple avec humanité afin d'obtenir de profondes racines et une base durable. Telle est la meilleure méthode pour conserver l'Etat ."

 

Sous la dynastie Trân, l'ambiance religieuse imprégnait tout le peuple. Ces préceptes de Trân Quôc Tuân montrent l'influence du bouddhisme Thiên :

"User d'esprit pour vous faire respecter du peuple et faire respecter l'esprit par le peuple sans être sûr que l'esprit triomphe.User de la loi pour dominer le monde et faire qu'il respecte la loi sans être sûr que la loi triomphe.Aussi l'esprit allié à la loi n'est pas le Bien au sein même du Bien.L'homme d'armes génial combat là où il n'y a pas de fortification(s), attaque là où il n'y a pas de rempart et livre bataille là où elle n'est pas prévueEt doit être léger comme la pluie sur le néant, se bâtissant une vie sans souci ".

 

Si "le néant est conçu comme une absence de tout" (Bergson), ce paragraphe peut être considéré commele néant pour mener à bien les affaires militaires.

 

D'après Dai Viêt Su Ky Toàn Thu, (Histoire complète du Dai Viêt ), Trân Quôc Tuân a composé une oeuvre militaire intitulée Binh gia diêu ly yêu luoc (Manuel des principes essentiels de l'art militaire). Par contre, Phan, auteur du Lich triêu Hiên chuong loai chi Phan, cite deux ouvrages de Trân Quôc Tuân : Binh gia yêu luoc (Résumé de l'art militaire) et Van kiêp Binh Thu (Manuel militaire), notant que les deux ouvrages Binh gia Yêu luoc et Van Kiêp Binh thu ont été égarés. Mais les archives en langue sino-vietnamienne de la Bibliothèque des Sciences sociales à Hanoi conservent actuellement un manuscrit intitulé Binh Thu Yeu Luoc. La première page de cet ouvrage mentionne : "Binh Thu Yêu Luoc comprenant 4 tomes composé par Trân Hung Dao, dit Quôc Tuân".

 

Le tome I comprend 9 chapitres :

1 - Thiên tuong (Phénomène céleste ).

2 - Tuyên mô (Recrutement ).

3 - Tuyên tuong (Sélection des généraux).

4 - Tuong dao (Conduite des généraux).

5 - Gian luyên (Entraînement).

6 - Quân lê (Rituel militaire).

7 - Mac ha (Personnel attaché).

8 - Binh cu (Armes).

9 - Hiêu lênh (Instructions et Ordres).

 

Le tome II comprend 11 chapitres:

1 - Hành quân (Opération).

2 - Huong dao (Guide).

3 - Dôn tru (Casernement).

4 - Tuân canh (Surveillance militaire)

5 - Quan tu (Nourriture).

6 - Hinh thê (Le terrain).

7 - Phong bi (Défense).

8 - Xem mua gio (Météorologie).

9 - Binh trung (Présages militaires).

10 - Dung gian (L'utilisation des agents secrets).

11 - Dung tra (La duperie).

 

Le tome III comprend 7 chapitres:

1 - Liêu dich (Estimation de l'armée ennemie).

2 - Da chiên (Combat champêtre).

3 - Quyêt chiên (Opérations de guerre).

4 - Thiêt ky (Les couleurs).

5 - Lâm chiên (Combat forestier).

6 - Son chiên (Combat montagnard).

7 - Thuy chiên (Combat sur l'eau).

 

Le tome IV comprend 7 chapitres :

1 - Công thành (Attaque de la forteresse).

2 - Thu thành (Défense de la forteresse).

3 - Dôt vây (Le blocus).

4 - Cuu ung (Le renfort de secours).

5 - Lui tranh (Retrait).

6 - Duoc thua (Victoire et défaite).

7 - Dâu hàng (Capitulation).

 

Le chapitre intitulé "Le Combat sur l'eau" est l'un des plus originaux.

 

L'art militaire vietnamien, comme la peinture orientale, a des occupations de montagne et de l'eau. Son(montagne) précède thuy (eau). Le chapitre sur le combat sur l'eau suit donc celui sur le combat en montagne.

Les principes généraux

 

Trân Quôc Tuân a posé un certain nombre de principes concernant le combat sur l'eau.

 

Les principes évidents

- Les grands bateaux gagnent sur les petits.

- Les bateaux solides gagnent sur les fragiles.

- Les bateaux naviguant sous le vent gagnent sur ceux contre le vent.

 

Les principes préventifs

- Il faut préserver le bateau de s'échouer, du feu, du vent, d'être percé, du piquet (coc ) en fer.

 

Les principes comparatifs

- La collision entre un bateau foukienois et un bateau japonais se compare à un char qui écrase une sauterelle. Tandis que le bateau foukienois est solide comme une forteresse, la taille disproportionnée de son adversaire japonais est comparable à son compartiment. En pleine mer, les grands bateaux écrasent les petits. Ce n'est pas le combat à l'arme blanche, au corps à corps, qui décide la victoire. Ici, c'est la force qui triomphe de la faiblesse.

- Ce dernier principe prétend révéler la prépondérance de la technique dans le combat sur l'eau: technique de la construction du bateau et celle de la fabrication des armes.

- Le navire au vent présume qu'il a l'aide de Dieu. Au contraire, celui naviguant contre le vent risque d'être perdu dans la bataille.

- Pour un combat sur l'eau, la navire en amont est plus favorable que celui en aval.

 

Les principes exceptionnels

- Pour détruire un navire ennemi plus fort que le nôtre, on jette des feux pour le brûler. Par conséquent, la faiblesse triomphe de la force, la fragilité triomphe de la solidité.

- Au cas où le bateau ennemi est sous le vent, nous nous cachons dans le coude d'une rivière ou derrière un buisson ardent en attendant son passage, puis nous retournons le bateau pour que le nôtre soit au vent et le bateau ennemi soit sous le vent, dans la direction opposée. De ce fait, on transforme une situation sous le vent en celle de contre le vent.

- Le stratagème du reflux, utilisé par le généralissime Ngô Quyên lors du premier combat sur l'eau vietnamien en 939, comprend la plantation des pieux pointus dans le lit du fleuve Bach Dang. Ngô Quyên attaqua la flotte chinoise de Hoang Thao, héritier de la couronne des Han du Sud à la marée montante et feint de battre en retraite. Hoang Thao se lance à sa poursuite. A l'heure du reflux, le généralissime se retourne et, avec toutes ses forces, charge les jonques chinoises qui fuient et viennent s'empaler sur les pieux.

- On installe les deux gouvernails : l'un à l'arrière et l'autre à l'avant. Si le vent de l'Est souffle, le bateau se dirige vers le Nord. Ainsi donc, on peut prendre l'initiative d'installer un gouvernail supplémentaire de plus pour profiter de toutes les directions du vent.

- En ce qui concerne l'incendie, on profite du vent fort pour brûler le bateau ennemi. D'autre part, on renforce les troupes d'infanterie courant sur les deux rives pour brûler l'objectif. Mais si on enduit de boue la coque de navire, les feux deviennent inefficaces. Ce stratagème a pour but de protéger du feu.

- Si le navire coule à pic en pleine mer, un bidon d'eau vaut de l'or.

- En cas désespéré, il vaut mieux percer la carène du navire ennemi que de garder fidèlement son bateau.

- La chasse au navire ennemi vaut mieux que la chasse aux soldats car dans l'art militaire, l'ensemble vaut mieux que les détails.

- Voici la manière d'éviter la percée: ou bien on double la coque garnie de clous en fer, ou bien on recrute de bons plongeurs pour surveiller le navire.

- Au moment du combat, éviter de contraindre les ennemis à plonger dans l'eau. D'instinct, ils se battront de toutes leurs forces pour échapper à la mort.

NGUYEN TRAI (1380-1442)

 

Si Trân Hung Dao présente en priorité l'intérêt militaire dans sa stratégie, en revanche, les questions politiques préoccupent fortement Nguyên Trai. Selon celui-ci, la force militaire est au commencement de la victoire mais c'est le pouvoir politique qui l'achève. Grâce à sa stratégie politique, Nguyên Trai a ramené une paix honorable pour le pays. L'idée de la primauté de la politique est une vision relativement neuve dans une époque où les bruits du canon (c'est-à-dire la guerre à grande échelle) n'existaient pas encore. Car plus les bruits du canon sont assourdissants, plus le politique décide de la forme et de la conclusion d'une guerre comme on voit aujourd'hui.

 

Né en 1380 à Thang Long (Hanoi actuel), son père est docteur et directeur d'une école privée où Nguyên Trai faisait ses études. Nguyên Trai est élevé par sa mère et son grand-père maternel, ministre régent sous les Trân. Après avoir été reçu Thai hoc sinh (docteur), il devient Ngù su dài hành chuong (chef du bureau impérial de l'inspection) sous les Hô. Nguyên Trai et son père contribuent aux réformes économiques, politiques et culturelles de la dynastie de Hô. Suite à l'invasion chinoise, Nguyên Phi Khanh, le père de Nguyên Trai, est fait prisonnier de guerre. Les Chinois l'emmènent en captivité avec d'autres lettrés et techniciens dont Nguyên An, architecte, futur bâtisseur de la Cité impériale à Pékin. Nguyên Phi Khanh lui conseille de revenir à la maison pour "laver la honte nationale et venger (ton) père." Vers 1420, Nguyên Trai remet à Lê Loi, leader de la résistance et futur roi, le plan stratégique de pacification contre les Ming (BinhNgô sach) dans lequel il propose la conquête des coeurs (tâm công), une sorte d'offensive psychologique.

 

Devenu ensuite lieutenant de Lê Loi, il est auteur de la stratégie dite dich vân (campagne de propagande avec l'ennemi). Il écrit beaucoup de lettres adressées aux généraux ennemis pour les persuader de se rendre. Cette campagne obtient des résultats inespérés. D'après Dai Viet Su Ky Toàn Thu, les forteresses de Nghê An, Thuân Hoa et Tây Dô se rendent sans combat. En 1427, les combattants de la Résistance tuent le général ennemi Liêu Thang (Liou Tcheng). La situation des armées ennemies dans la citadelle de Dông Quan (Hanoï) est désespérée. Nguyên Trai conseille à Lê Loi d'appeler les ennemis à abandonner les combats et à rendre les armes plutôt que de risquer une attaque destructrice. Le retrait des troupes d'occupation chinoises se déroule dans l'ordre. La résistance vietnamienne obtient la victoire finale en reconquérant son indépendance. Le roi (Lê Loi devenu dynastiquement Lê Thai Tô) nomme Nguyên Trai ministre de l'Intérieur et président du Conseil d'Etat (Co Mât Viên).

 

En 1429, il est emprisonné sous prétexte d'être ami de Trân Nguyên Han, un haut mandarin soupçonné d'avoir commis le crime d'infidélité. Ce dernier se suicide. Le roi libère Nguyên Trai et lui restitue toutes ses fonctions et titres mais il n'a pas confiance en Nguyên Trai et en d'autres personnes de grand talent.

 

Après la mort du roi Lê Thai Tô, Nguyên Trai devient lieutenant du nouveau roi Lê Thai Tôn. Il conseille au roi de pratiquer une politique en vue de l'épanouissement des valeurs humaines fondée sur l'humanisme. La droiture de son esprit a semé la discorde chez les flatteurs et les courtisans de la Cour impériale. En 1442, le roi Lê Thai Tôn va voir Nguyên Trai à Côn Son où ce dernier vit en concubinage avec Thi Lô, une femme de lettres d'une grande beauté. Après cette visite, le roi ordonne à Thi Lô de l'accompagner à la capitale. Quelques jours plus tard, le cortège s'arrête au jardin des letchis (Trai Vai) à Bac Ninh. Pendant la nuit le roi s'enrhume et meurt le lendemain matin. La plupart des hauts mandarins profitent de cette occasion pour accuser Nguyên Trai afin de le supprimer. Ce dernier est accusé de régicide et condamné à mort avec tous les membres des trois générations successives de sa famille. Ils sont tous exécutés le 19 septembre 1442. Nguyên Trai, l'écrivain le plus humaniste qu'ait connu la littérature vietnamienne, a ainsi une fin infamante. Vingt ans plus tard, le roi Lê Thanh Tôn promulgue un édit en vue d'innocenter Nguyên Trai.

 

Nguyên Trai a beaucoup écrit. Il est l'auteur de la "grande proclamation sur la pacification des Ngô" (Binh Ngô Dai Cao) d'un ouvrage militaire intitulé Quân Trung Tu mênh tâp (Quân trung = dans l'armée ; tu mênh = mots et ordres ; tâp = recueil = Recueil de mots et d'ordres militaires), d'un livre de géographie du Vietnam(Dia du chi), d'un livre sur la vraie histoire de la Résistance (Lam son Thuc luc), un recueil de poèmes en sino-vietnamien = Uc Trai Thi Tâp, d'un recueil de poèmes en nôm = Quôc âm Thi tâp etc... Il est le père des stratégies : tâm công (conquête des coeurs), dich vân (propagande face à l'ennemi) et vua danh vua dàm (offensive et négociation se passent simultanément). Les règles de Nguyên Trai sur la guerre psychologique ont traversé des siècles et sont toujours d'une extraordinaire fraîcheur. Pendant les deux guerres d'Indochine, le général Giap et ses successeurs ont exploité et appliqué sur le terrain les stratégies de Nguyên Trai avec succès.

 

Comme d'autres stratèges vietnamiens, Nguyên Trai s'est beaucoup préoccupé du combat sur l'eau. Dès que la paix s'établit, il fonde la flotte vietnamienne en vue de la défense du pays. Dans Uc Trai Thi Tâp(Recueil de poèmes en chinois classique de Uc Trai), Nguyên Trai écrit un poème intitulé Quan duyêt thuy trân (manoeuvre navale) :

 

Les requins anéantis dans la mer du Nord,

La paix est revenue, mais point ne pouvons ranger les armes.

Les drapeaux flottent parmi les nuages,

Les tambours font trembler la terre.Les guerriers en cuirasse évoquent ours et tigres,

Mille jonques évoluent, tel un vol d'éperviers.

Le souverain veut donner au peuple le repos

Et bâtir par les "lettres" une paix véritable .

 

L'un des grands thèmes directeurs dans Uc Trai Thi Tâp est le combat sur l'eau. On peut citer ici deux parmi d'autres poèmes de Nguyên Trai concernant la marine: le premier intitulé Bach Dang Hai Khâu (A l'embouchure du Bach dang) et le deuxième Vân Dôn dont voici les traductions :

 

 

A l'embouchure du Bach Dang

 

Le vent du Nord a glacé l'air marin,

Voile gonflée, nous traversons lentement l'estuaire.

Les rochers évoquent des requins dépecés,

Sur les rives, des joncs, dards brisés.

Poste et fleuve, défense inexpugnable accordée par le Ciel,

C'est ici que les héros ont fait leurs preuves,

Mais l'épopée déjà appartient au passéJe fouille l'onde de mon regard, le coeur navré.

 

 

Vân Dôn

 

Les montagnes se chevauchent à l'entrée de Vân Dôn.

Site merveilleux conçu par le ciel et la terre.

Vaste étendue bleue, limpide miroir,

Millions de rochers noirs et émeraudes piqués de vert.

Montagne et mer se purifient,

La furie des vagues ne peut briser les coeurs d'airain ?

Seuls au rivage bordé d'herbe pauvreLes Barbares, me dit-on, font escale.

 

 

Dans le Vietnam d'hier, la poésie est une manière la plus fidèle pour exprimer non seulement le coeur, mais aussi la pensée. Nguyên Trai sait que la marine est l'un des piliers du pays. Il manifeste sa pensée militaire ainsi que ses préoccupations en composant des poèmes tels que Bach Dang Hai khâu et Vân Dôn.

Dao Duy Tu (1572-1638)

 

Il est né vers 1572 à Thanh Hoa. Dans le contexte de la guerre de sécession entre les seigneurs Trinh à Dàng Ngoài (Nord Vietnam) et les seigneurs Nguyên à Dàng Trong (Sud Vietnam), il quitte son village natal pour s'installer définitivement à Dàng Trong. Tout d'abord, il garde les buffles pour le compte d'un notable au district de Tùng Châu. Ce dernier prend son employé en estime et l'introduisit auprès du conseiller Trân Hoài Nhân. Le conseiller reconnait la valeur de Dao Duy Tu et lui donne sa fille en mariage. Il le recommande ensuite au seigneur Nguyên Phuc Nguyên. Dès le premier coup d'oeil d'expert aux estimations promptes, le seigneur nomme le jeune promu Nha uy Nôi tan, chargé des affaires militaires. Dès lors, Dào Duy Tù devient lieutenant du Seigneur Nguyên. Il est auteur des célèbres places fortes de Trùong Duc et de Luy Thày, "le premier, long de 10 km et haut de 3 m, comprenait un camp et un grenier pour l'approvisionnement des troupes. Le second, plus considérable, atteignait une hauteur de six mètres et une longueur de dix-huit kilomètres 17". Il écrit Hô Truong Khu Co, un manuel de l'art militaire réservé aux généraux. Il meurt en 1638 à l'âge de 66 ans.

 

Dào Duy Tù composa une oeuvre intitulée Hô Truong Khu Co. Sous l'influence du Confucianisme, elle est divisée en trois parties :

 

Tome I : Thiên = Ciel.

Tome II : Dia = Terre.

Tome III: Nhân = Homme.

 

 

L'auteur compara le combat à cette triade: ciel - terre - homme. La paix symbolise l'harmonie de la triadethiên - dia - nhân. L'homme dont la tête porte le ciel, ses pieds frappent la terre (dâu dôi troi, chân dap dât)sert de pont entre les deux éléments thiên - dia. A partir de cette notion, le plan tripartite de Hô Truong Khu Co comporte :

 

Volume 1 : Ciel (Tâp Thiên):

1 - Traité général sur l'essentiel de l'art militaire.

2 - Attaque par le feu ( Hoa công)

3 - Combat sur l'eau (Thuy chiên)

4 - Combat terrestre (Bô chiên)

5 - Protection de la caserne (Giu trai)

6 - Conclusion.

 

Volume 2 : Terre (Tâp Dia) :

1 - Traité sur le combat

2 - Les techniques du combat

3 - Ecole militaire et champs d'exercices (Giao truong diêu trân)

4 - Techniques pour bouleverser le champ de bataille (Phep Pha trân)

5 - Conclusion.

 

Volume 3 : Homme (Nhân )

1/- Traité sur les généraux

2/- Technique de sélection les généraux

3/- Traité sur les actions de priorité de l'armée (Yêu luân vê Quân co)

4/- Instructions militaires à l'usage des soldats

5/- Technique de la défense de forteresse

6/- Traité sur les sortes différentes de terrains (Dia Thê)

 

 

Le chapitre sur la stratégie du combat sur l'eau commence par une introduction à l'étude de la philosophie de l'eau :

 

"L'eau est apparue dès la formation de l'univers.

L'eau est le principe vital et le principe mortel en même temps car elle peut faire flotter ou submerger une chose. Les chutes d'eau nous donnent des forces incomparables. C'est pourquoi, nos ancêtres l'utilisent dans les combats".

 

 

Après un discours préliminaire sur l'eau, l'auteur présente quelques techniques du combat sur l'eau :

- Technique pour extraire l'eau potable de l'eau de mer.

- Technique pour couper la chaîne de fer empêchant le passage des bateaux.

- Technique pour installer des flèches empoisonnées des deux côtés de la voie fluviale. Une série de flèches se déclenche automatiquement quand le bateau ennemi touche le câble immergé.

- Technique pour planter un barrage de pieux pointus dans le lit du fleuve. Cette technique reprend les stratagèmes précédents de Ngô Quyên et de Trân Hung Dao.

- Technique pour installer le réseau de conduites destiné à alimenter l'eau potable en haute montagne.

- Technique pour installer le flotteur en 100 couches de bambou en vue de traverser l'eau (technique du pont flottant).

- Technique pour fabriquer des éléphants de bambou enveloppés dans une dizaine de couches de papiers vernis. 100 kg de chaux grasse garnissent les ventres des éléphants. En attendant l'arrivée de la flotte ennemie, on fait monter à bord ces éléphants de chaux (voi vôi). Dès le début du combat, le groupe pousse des éléphants et les jette à l'eau. La chaux à l'intérieur des éléphants augmente au contact de l'eau. Les grands flots qui s'écoulent sous l'effet des forces perturbatrices défont les rangs ennemis.

- Technique pour piéger des mines dormantes : Avant Dào Duy Tu, existait déjà l'amorce de la mine antipersonnel (dia lôi). Dào Duy Tu donne les instructions nécessaires, même détaillées, relatives à la fabrication de la cartouche et à la composition de la poudre. Cette technique est relativement nouvelle à une époque où la destruction massive n'existe pas.

Conclusion

 

En 1983, en pleine guerre psychologique et matérielle avec la République populaire de Chine, le Vietnam communiste a fait publier sous la plume de Nguyên Viêt, Vu Minh Giang et Nguyên Manh Hùng (trois pseudonymes pour exalter le nationalisme vietnamien triomphant) un livre intitulé Hai Quân Trong Lich Su Chông Ngoai Xâm (Les forces navales dans l'histoire des résistances aux invasions étrangères, Editions de l'Armée, Hànôi 1983, 454 pages). Au moment où la RPC se faisait fort de donner une seconde leçon au Vietnam pour le punir de la mainmise vietnamienne au Cambodge, la publication de cet imposant ouvrage bourré de références historiques n'était pas innocente. Elle servait à rappeler aux Chinois les traditions thalassiques de la Marine vietnamienne, sa science du combat sur l'élément liquide. Elle remettait à l'esprit des Chinois que la première leçon chinoise de 1979 avec l'invasion terrestre du Nord-vietnam par les couloirs terrestres des vallées fluviales ne pouvait avoir le succès escompté sans refermer la tenaille chinoise sur mer dans le Golfe du Tonkin. Elle indiquait clairement aux Chinois que le prochain affrontement aurait toutes chances de se dérouler sur mer, en raison du contentieux sur les Paracels depuis 1974, des contestations entre les deux pays sur les Spratleys et sur les champs pétrolifères autour de l'île chinoise de Hainan. Surtout, elle remémorait opportunément au voisin du Nord que, dans leurs différentes confrontations, le sort des armes n'a jamais été contraire sur l'eau au dragon vietnamien. Signe des temps montrant une véritable conversion intellectuelle et conceptuelle des décideurs communistes vietnamiens vers une (re)prise en compte des menaces maritimes et terrestres alors que, jusque-là, priorité était donnée aux enjeux sur terre.

 

"L’Histoire est la science des choses qui ne se répètent pas", disait Paul Valéry. La Marine vietnamienne, dans sa longue histoire, a poursuivi sa marche en avant d'amont en aval, comme ses fleuves dévalant des montagnes du Tibet et de la Cordillière annamitique vers la Mer de Chine orientale. Pesanteur naturelle.

 

En amont, le Vietnam a transformé son réseau de cours d'eau en filets, en nasses pour y noyer l'ennemi venu d'ailleurs. Sur terre, sa science du combat dans l'élément liquide est incontestable. Elle s'est inscrite dans son espace géopolitique naturel (Dât Nuoc, littéralement Terre et Eau mais Dât Nuoc est, pour les Vietnamiens, la Nation vietnamienne, le pays des ancêtres), dans sa temporalité asiatique (patience et persévérance), dans sa culture stratégique (résistance et inventivité). C'est là où le Vietnam a gagné ses grandes batailles : la toile d'araignée de fleuves et de rivières vietnamienne a toujours englué et enlisé les envahisseurs. Le Vietnam a toujours dénoué sur terre les situations les plus dificiles de son histoire.

 

En aval, ce fut moins brillant. Les Vietnamiens, gens de tradition confucéenne, se sont toujours sentis un peu perdus face à la Grande Bleue, aux grands espaces maritimes ou océaniques. Le dragon vietnamien n'aime combattre que dans ses embouchures, dans ses golfes. Sur les fleuves, on peut appliquer l'adageYêu dùng muu (le faible utilise les stratagèmes). Mais en mer, seule la force compte. Et ici, la force exprime tout le potentiel économique et technique (bref, politique) du pays. C'est sa projection de puissance. Impossible d'utiliser la ruse ou la duperie (dung tra). Seul, le fort gagne (Khoe dùng suc).

 

La première démonstration de cette impuissance vietnamienne face au grand large a été la bataille navale perdue par la Marine vietnamienne face à l'escadre de l'amiral français Rigault de Genouilly à Dà Nang (Tourane) le 15 avril 1847. La Gloire, frégate de 54 canons et La Victorieuse, corvette de 24 canons, envoyèrent par le fond toute la flotte militaire (6 corvettes) du royaume vietnamien des Nguyên. Les canons de la bataille de Tourane ont sonné le glas des velléités de résistance du Vietnam. Le royaume n'a pas seulement perdu une bataille navale : il a prouvé tout son retard sur la civilisation et la technique modernes occidentales par un attachement aveugle aux valeurs et aux traditions du passé. De nombreuses voix s'élevèrent alors pour réclamer une modernisation rapide du pays, pour le mettre à l'abri d'épreuves douloureuses dans sa confrontation avec l'Occident.

 

Seize ans après, entre 1863 et 1871 (date de sa mort), le réformiste Nguyên Truong Tô, considéré comme "le plus célèbre des esprits nouveaux", a adressé pas moins de quinze placets (so) à l'Empereur et à la Cour pour demander une transformation radicale du Vietnam. Sont notamment évoquées l'introduction de l'étude des sciences exactes aux côtés des humanités confucéennes classiques, l'autorisation de publier des journaux, la réorganisation de l'Armée, la fabrication d'armes et de munitions modernes, la construction de routes et voies stratégiques. Malheureusement, le conservatisme millénaire de la Cité interdite de Huê a freiné des quatre fers. Le pays, en pleine décadence, a dû bientôt accepter - cent ans durant - le protectorat puis la colonisation française.

 

L'amiral polytechnicien (Rigault de Genouilly, le X de la Royale française, a vaincu le bricoleur inconnu, le commandant anonyme (le x), de la Marine impériale vietnamienne (l'historiographie vietnamienne n'a même pas daigné enregistrer son nom). Dans le combat naval de 1847, il y a eu plus que le combat de la couleuvrine (sung thân công) contre le canon d'escadre (sung thân), du vaisseau d'apparat indigène (thuyên rông) contre la frégate de combat venue d'Occident. Plus précisément et plus symboliquement, c'est le combat - perdu d'avance - entre la frilosité conservatrice traditionnelle repliée sur elle-même et la civilisation technologique occidentale capable de braver les océans et les longues distances.

 

"Ne pas avancer, c'est (déjà) reculer", avait dit l'empereur Tu Duc (1847-1883). Ses administrés ne l'ont pas écouté pour mettre le Vietnam à l'heure de la nouvelle modernité : la Nation vietnamienne s'en est trouvée bradée avec le Traité du Protectorat de 1883 signé avec la France. Il faudra attendre désormais les Français sur un terrain plus conforme à la culture stratégique vietnamienne (sur terre, notamment à Na San, à Lang Son, à Cao Bang, à Diên Biên Phu, 1951-1954). pour s'en défaire.

 

Dans les guerres sino-vietnamiennes, la sauterelle vietnamienne a pu écarter l'éléphant chinois en usant destratagèmes sur l'eau pour sauvegarder l'indépendance nationale. Le dragon vietnamien, quant à lui, n'a pu empêcher la Marine française de jeter l'ancre pendant un siècle dans les eaux vietnamiennes. Dure leçon.

Notes

 

1 Le terme Chien Luoc en vietnamien équivaut à celui de stratégie : Chien signifie combat, Luoc, conduite générale, Chien Luoc signifie donc la conduite générale du combat.

 

2 Cité par Hoang Xuan Han dans Ly Thuong Kiêt, Saïgon, Université boudhique de Van Hanh, 1966, p.257.

 

3 Thang Long : dragon ascentionnel. Même le nom choisi pour la capitale renvoie à l'emblème du dragon, seigneur des eaux et de la pluie, signe de prospérité.

 

4 Etymologiquement, du signifie flottant (qui flotte, qui n'est pas fixe ou assuré), vagabond (qui mène une vie errante) et kich = combat de coups de main. Du kich est actuellement une tactique du combat terrestre, mais dans le Viet Nam ancien, il y a une combinaison de la marine avec l'armée de terre. Le général Vo Nguyên Giap, épigone du Du kich de Ly Thuong Kiêt, était professeur d'histoire au lycée Thang long (Hanoi) avant de choisir la carrière des armes. La conduite de la guerre populaire de Giap n'est qu'une reprise fidèle des leçons d'histoire du Viêt Nam qu'il a enseignées au lycée Thang long.

 

5 Thiên est la transcription phonétique du mot sanscrit Dhyana. Les équivalents de Thiên vietnamien sont Zen (japonais), Sun (coréen), Ch'an (chinois).

 

6 Jean Chesneaux, Contribution à l'histoire de la nation vietnamienne, Paris, Editions sociales, p.30.

 

7 Lê Thành Khôi, Histoire du Vietnam, Paris, 1981, p.186.

 

8 Idem.

 

9 Dai Viêt Su Ky Toàan Thu, pp. 86-96, cité par Lê Thành Khôi, op. cit., p.192.

 

10 Trân Quôc Tuân, Binh Thu Yêu Luoc, p.10.

 

11 Lê Thànk Khôi, op.cit., p.189.

 

12 Contrairement aux temps de guerre où les slogans tels que l'Indépendance, la Liberation sont attirants pour le peuple, les deux après-guerres de 1954 et de 1975 ont démythifié ces slogans. La réalité quotidienne condamne les caractères réactionnaires d'inhumanité du régime.

 

13 Nguyên Trai,l'une des plus belles figures de l'histoire et de la littérature vietnamiennes, pp. 54 - 55.

 

14 Idem.

 

15 Bach Dang : fleuve dans la province de Quang Ninh célèbre par les victoires de Ngô Quyên sur les Han postérieurs (939) et de Trân Hung Dao sur les envahisseurs Yuan (1288).

 

16 Vân Dôn : Port de l'est de la Baie Bai Tu Long (province de Quang Ninh). Sous les Ly et les Trân (1010 - 1400), les bateaux marchands des étrangers y mouillaient.

 

17 Lê Thành Khôi, op. cit., p.256.

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